Source : Ted.com
(Musique 2 mn 40s) (Applaudissements)
Merci beaucoup. (Applaudissements) Merci. C’est un vrai privilège d’être ici.
Il y a quelques semaines, j’ai vu une vidéo sur YouTube d’une membre du Congrès, Gabrielle Giffords dans ses premiers pas vers la guérison après avoir reçu une de ces terribles balles. La balle est entrée par son hémisphère gauche, et a assommé son aire de Broca, le centre du langage du cerveau. Et dans cette session, Gabby travaille avec une orthophoniste, et elle a du mal à prononcer certains des mots les plus simples et vous pouvez la voir de plus en plus bouleversée, jusqu’à ce qu’elle finisse par éclater en sanglots, et elle commence à pleurer sans dire un mot dans les bras de son thérapeute. Et après quelques instants, son orthophoniste tente une nouvelle approche, et ils commencent à chanter ensemble, et Gabby commence à chanter avec les larmes aux yeux, et vous pouvez l’entendre clairement articuler les paroles d’une chanson qui décrit comment elle se sent, et elle chante, dans une gamme descendante, elle chante, »Let it shine, let it shine, let it shine. » Et c’est un rappel très puissant et émouvant de combien la beauté de la musique est capable de parler là où les mots n’y parviennent pas, dans ce cas littéralement, à parler.
Cette vidéo de Gabby Giffords m’a rappelé les travaux du Dr Gottfried Schlaug, un des éminents neuroscientifiques qui étudie la musique et le cerveau à Harvard, et Schlaug est le promoteur d’une thérapie appelée Thérapie d’Intonation Mélodique, qui est devenue très populaire en musicothérapie. Schlaug a constaté que ses victimes d’accident vasculaire cérébral qui étaient aphasiques, n’arrivaient pas à former des phrases de trois ou quatre mots, mais qu’ils étaient encore capables de chanter les paroles d’une chanson, que ce soit « Joyeux Anniversaire » ou leur chanson préférée des Eagles ou des Rolling Stones. Et après 70 heures de cours de chant intensifs, il a conclu que la musique était capable de littéralement recâbler le cerveau de ses patients et de créer un centre du langage homologue dans leur hémisphère droit pour compenser les lésions de l’hémisphère gauche.
Quand j’avais 17 ans, j’ai visité le laboratoire du Dr Schlaug et en un après-midi il m’a fait découvrir quelques-unes des principales recherches sur la musique et le cerveau – comment les musiciens avaient une structure du cerveau fondamentalement différente de celle des non-musiciens, comment la musique et écouter de la musique, pouvaient activer le cerveau entier, depuis notre cortex préfrontal jusqu’au cervelet, comment la musique devenait une modalité neuropsychiatrique pour aider les enfants atteints d’autisme, pour aider les gens qui se battent contre le stress, l’anxiété et la dépression, comment les patients parkinsoniens trouvaient que leurs tremblements et leur démarche se stabilisaient profondément quand ils écoutaient de la musique, et comment les patients atteints d’Alzheimer avancé, dont la démence avait tellement progressé qu’ils ne pouvaient plus reconnaître leur famille, étaient encore capables de reconnaître un morceau de Chopin joué au piano qu’ils avaient appris quand ils étaient enfants.
Mais j’avais une arrière-pensée en rendant visite à Gottfried Schlaug, et la voici : j’étais à un carrefour dans ma vie, j’essayais de choisir entre la musique et la médecine. Je venais tout juste de terminer mon premier cycle universitaire, et je travaillais comme assistant de recherche au laboratoire de Dennis Selkoe, à étudier la maladie de Parkinson à Harvard, et j’étais tombé amoureux des neurosciences. Je voulais devenir chirurgien. Je voulais devenir médecin comme Paul Farmer ou Rick Hodes le genre d’homme courageux qui se rend dans des endroits comme Haïti ou l’Éthiopie et travaille avec les malades du SIDA qui souffrent de tuberculose multirésistante ou avec des enfants atteints de cancers qui les défigurent. Je voulais devenir ce genre de médecin de la Croix-Rouge, ce médecin sans frontières. D’un autre côté, j’avais joué du violon toute ma vie.
Pour moi la musique était plus qu’une passion. C’était une obsession. C’était mon oxygène. J’ai eu la chance d’étudier à la Juilliard School de Manhattan et d’avoir joué à mes débuts avec Zubin Mehta et l’Orchestre philharmonique israélien à Tel Aviv, et il s’est avéré que Gottfried Schlaug avait étudié comme organiste au Conservatoire de Vienne, mais avait renoncé à son amour pour la musique pour poursuivre une carrière dans la médecine. Et cet après-midi-là, il fallait que je lui demande, « Ça s’est passé comment pour vous, de prendre cette décision? »
Et il a dit qu’il souhaitait encore quelques fois revenir en arrière et jouer de l’orgue comme avant, et que pour moi, la faculté de médecine pouvait attendre, mais que le violon ne le ferait tout simplement pas. Et après deux ans d’études musicales, j’ai décidé de tenter l’impossible avant de me présenter au MCAT et de m’inscrire en faculté de médecine comme un bon fils indien pour devenir le prochain Dr Gupta. (Rires) Et j’ai décidé de tenter l’impossible, et je me suis présenté à une audition pour rejoindre le célèbre orchestre philharmonique de Los Angeles. C’était ma première audition et après avoir joué pendant trois jours derrière un écran durant une semaine d’essai, on m’a offert le poste. Et c’était un rêve. C’était un rêve fou de jouer dans un orchestre, de jouer dans l’emblématique salle de concert Walt Disney dans un orchestre dirigé désormais par le célèbre Gustavo Dudamel,mais bien plus encore pour moi, d’être entouré de musiciens et de mentors qui sont devenus ma nouvelle famille, mon nouveau foyer musical.
Mais un an plus tard, j’ai rencontré un autre musicien, qui avait également étudié à Juilliard, quelqu’un qui m’a profondément aidé à trouver ma voix et qui a forgé mon identité de musicien. Nathaniel Ayers était contrebassiste à l’école Juilliard, mais il avait subi une série d’épisodes psychotiques quand il avait un peu plus de 20 ans, il avait reçu un traitement à base de chlorpromazine à Bellevue, et avait fini par devenir sans-abri errant dans les rues de Skid Row dans le centre-ville de Los Angeles 30 ans plus tard. L’histoire de Nathaniel est devenue une balise de la plaidoirie des sans-logis et de la santé mentale partout aux États-Unis, à travers le livre et le film « Le Soliste » mais je suis devenu son ami, et je suis devenu son professeur de violon, et je lui ai dit que où qu’il ait son violon, et partout où j’avais le mien, je jouerais une leçon avec lui.
Et sur le nombre de fois où j’ai vu Nathaniel sur Skid Row, j’ai pu voir comment la musique pouvait le ramener à la vie en le tirant de ses moments les plus sombres, de ce qui me semblait, de mon œil non-averti, être les débuts d’un épisode de schizophrénie. En jouant pour Nathaniel, la musique a pris une signification plus profonde, parce que c’était maintenant une question de communication, une communication où les mots avaient échoué, une communication d’un message qui allait plus loin que les mots, qui atteignait un niveau fondamentalement primal dans la psyché de Nathaniel, mais que j’ai tout de même perçu comme une véritable offrande musicale. Je me suis trouvé à être outré que quelqu’uncomme Nathaniel ait jamais pu être sans-abri sur Skid Row en raison de sa maladie mentale, mais combien de dizaines de milliers d’autres personnes y avait-il là-bas rien qu’à Skid Row qui avaient des histoires aussi tragiques que la sienne, mais n’auraient jamais un livre ou un film à leur sujet qui leur permettaient de ne plus être à la rue ? Et au cœur même de cette crise qui me tourmentait, je sentais en quelque sorte que la vie de la musique m’avait choisi, où d’une certaine manière, peut-être d’une manière tout à fait naïve, j’ai ressenti que ce dont Skid Row avait vraiment besoin, c’était de quelqu’un comme Paul Farmer et pas d’un musicien classique de plus jouant sur Bunker Hill.
Mais en fin de compte, c’est Nathaniel qui m’a montré que si je me passionnais vraiment pour le changement, si je voulais faire la différence, j’avais déjà l’instrument idéal pour le faire, que la musique était le pont qui reliait mon monde et le sien.
Il y a une belle citation du compositeur romantique allemand Robert Schumann, qui a dit : « Le devoir de l’artiste est d’envoyer la lumière dans l’obscurité du coeur de l’homme. » Et il s’agit d’une citation particulièrement poignante car Schumann lui-même souffrait de schizophrénie et est mort dans un asile. Et inspiré par ce que j’ai appris de Nathaniel, j’ai lancé une association de musiciens sur Skid Row appelée Street Symphony, qui appporte la lumière de la musique dans les endroits les plus sombres, en jouant pour les sans-abri et les malades mentaux dans des foyers et des hôpitaux sur Skid Row, en jouant pour les anciens combattants souffrant de troubles de stress post-traumatique, et pour les détenuset ceux qu’on considère comme des fous criminels.
Après l’une de nos représentations à l’hôpital d’état de Patton à San Bernardino, une femme s’est approchée de nous et elle avait des larmes qui ruisselaient sur son visage, et elle souffrait d’une paralysie, elle tremblait, et elle avait ce sourire magnifique, et elle a dit qu’elle n’avait jamais entendu de musique classique auparavant, elle ne pensait pas qu’elle aimerait ça, elle n’avait jamais entendu un violon avant, mais que cette musique était comme le soleil, et que personne ne venait jamais leur rendre visite, et que, pour la première fois en six ans, lorsqu’elle nous a entendu jouer, elle a cessé de trembler sans médicament.
Tout à coup, ce que nous constatons avec ces concerts, loin de la scène, loin des feux de la rampe, sans porter de smoking, c’est que les musiciens deviennent le véhicule qui apporte les énormes avantages thérapeutiques de la musique sur le cerveau à un public qui n’aurait jamais eu accès à cette salle, n’aurait jamais eu accès au genre de musique que nous faisons. Tout comme la médecine sert à guérir plus que les éléments constitutifs du corps seul, la puissance et la beauté de la musique transcende le « E » au milieu de notre bien-aimé acronyme. La musique transcende la beauté esthétique seule. La synchronie des émotions que nous éprouvons quand nous entendons un opéra de Wagner, ou une symphonie de Brahms, ou de la musique de chambre de Beethoven, nous oblige à nous rappeler de notre humanité commune et partagée, la conscience commune qui nous connecte, la conscience empathique dont le neuropsychiatre Iain McGilchrist dit qu’elle est câblée dans notre hémisphère droit du cerveau. Et pour ceux qui vivent dans les conditions les plus déshumanisantes de la maladie mentale en étant sans-abris et en prison, la musique et la beauté de la musique leur offrent une chance de transcender le monde qui les entoure, pour se rappeler qu’ils ont encore la capacité d’accéder à quelque chose de beau et que l’humanité ne les a pas oubliés. Et l’étincelle de cette beauté, l’étincelle de cette humanité se transforme en espoir, et nous le savons, que nous choisissions la voie de la musique ou de la médecine, c’est la première chose que nous devons insuffler au sein de nos communautés, au sein de notre public, si nous voulons inspirer la guérison de l’intérieur.
Je voudrais terminer par une citation de John Keats, le poète romantique anglais, une citation très célèbre que vous connaissez, j’en suis sûr. Keats lui-même avait également renoncé à une carrière en médecine pour poursuivre la poésie, mais il est mort quand il avait un an de plus que moi. Et Keats a dit : « La beauté est vérité, la vérité beauté. C’est tout ce que vous savez sur terre. Et c’est tout ce qu’il nous faut savoir ! » (Musique)(Applaudissements)
Cet homme est saisissant de par sa générosité et son intelligence.
Quelle émotion !
Je propose cette autre vidéo de lui, si cela intéresse. (si vous ne voyez pas la vidéo, actualisez votre page [touche F5])