Article tiré de la 1ère revue Musique Thérapie Communication (juin 1987):
Je désigne par ce terme de « cure sonique » (ou « acousticothérapie » selon le néologisme créé par D. Feldman, 1985) l’ensemble des procédés de thérapie utilisant l’interaction entre le patient et un environnement sonore aménagé en vue d’obtenir une modification positive de son organisme. J’envisagerai ici un sous-ensemble limité aux procédés utilisant, en plus d’une source sonore définie (souvent musicale ou vocale), quelque procédé de modification systématique de cette source : filtres, amplificateurs, équalizers, etc.
Certaines d’entre ces méthodes ont un objectif spécifique précis qui dispensent de commentaires étendus ; il en va ainsi des sons Feijoo employés en analgésie dentaire ou obstétricale, des cassettes conçues pour faciliter la détente et la relaxation, etc. du Suvag Lingua de Guberina pour la rééducation des sourds et l’apprentissage des langues étrangères, de l’appareil de Lafon pour améliorer le confort et la compétence linguistique du sourd, etc.
Réciproquement, la musicothérapie dans son acception courante, sans utilisation de traitement du signal, peut entrer dans la stratégie soignante, à peu près dans tous les cas, au prix de l’imagination, de la culture et du savoir faire du praticien.
Entre ces deux extrêmes, nous trouvons les thérapies « armées » d’un appareil modificateur de l’écoute : Oreille Électronique et ses émules, Sémiophone d’Isi-Beller, Filtre de Bérard, Variophone d’Auriol et Marinoff, etc.
Elles ont toutes pour inspirateur plus ou moins direct A. Tomatis qui a, probablement le premier, proposé de traiter ainsi les difficultés vocales du chanteur, de l’orateur, etc., les troubles élocutoires du dyslexique ou du bègue, l’aphonie et les dysphonies anxieuses (A. Le Gall, 1961) ; plus tard les indications se sont étendues à l’enfant hyperkinétique, instable, inattentif, fatigable, excessivement introverti, mutique et même autiste (A. Tornatis, 1971, 1972, 1977).
Feldman (1985, p. 135) fait une énumération extrêmement extensive des indications de 1′ »acousticothérapie » sans se référer à une bibliographie précise ; il propose de l’utiliser dans toutes sortes de désordres de l’écoute et de la phonation, pour rééduquer diverses aphasies, apraxies, amusie et agnosies, dyslalies, troubles névrotiques et psychotiques de la communication. Les indications privilégiées sont pour lui regroupées sous quatre chefs :
1) les troubles audio-psycho-phonologiques sont liés à une perturbation ou un affaiblissement du désir de communiquer et de connaître : la cure sonique aurait pour effet de restaurer, renforcer, stabiliser ce désir. On range dans cette catégorie, les névroses de l’enfance avec décompensation scolaire, les désordres névrotiques et psychotiques de la communication, les hypoacousies psychogènes, les dysphonies psychogènes et les retards de langage.
2) les troubles de la latéralisation qui sont fréquemment liés à une dysharmonie énergétique entre traitement analogique et traitement digital de l’information.
3) les troubles organiques ou fonctionnels de la phonation et de l’attention auditive.
4) les troubles de la lecture, de l’écriture et de l’orthographe .
On a aussi préconisé la cure sonique chez certains épileptiques (Derrien 1975), dans diverses formes de névrose et de dépression (Auriol, 1978 et 1979), dans la toxicomanie (Auriol, 1979), les psychopathies, etc. Examinons ces indications jusqu’ici méconnues.
L ‘ÉPILEPSIE
Pendant longtemps, l’épilepsie, marquée par la gravité de crises pouvant conduire aux blessures et à la mort, par le caractère totalement inconscient des phénomènes critiques, par la possibilité d’amender ses manifestations les plus voyantes au moyen de médicaments, par la fréquence de son apparition en cas de compression ou de cicatrice de la substance cérébrale, a été considérée comme « exclusivement organique », c’est-à-dire fondée sur une lésion potentiellement décelable de manière objective et inaccessible à une forme quelconque d’intervention relationnelle.
Un certain nombre de bémols sont venus, très tôt, parsemer cette rigoureuse partition :
- la possibilité d’agir sur les crises (de les prévenir ou même les interrompre) par une stimulation suffisamment forte (faire tourner une clef dans la main du patient comme on le fait traditionnellement en Algérie ou intervenir « médicalement » dans le même sens comme l’a proposé Bob Efron…)
- le fait que le sujet puisse dans certains cas se provoquer intentionnellement des crises par un procédé efficace (en passant très rapidement, de nombreuses fois, la main devant les yeux, en face du soleil, par exemple, comme je l’ai observé chez un enfant de la clinique de Solliès Pont).
- le type de personnalité spécifique, le caractère particulier que Mme Minkowska et d’autres (Auriol, 1973) ont mis en évidence chez une majorité des victimes de la « maladie sacrée » (morbus sacer).
- la fréquence des cas où, faute de cause physique évidente, on se trouve contraint d’en appeler à une « forme essentielle » de la maladie.
Ces faits et quelques autres ont permis d’individualiser une « épilepsie psychosomatique » dont la seule raison de sa survenue serait une forme de conflit psychologique (S. Freud, 1928, voit la crise comme une décharge somatique de masses d’excitation dont le sujet ne vient pas à bout psychiquement, simulacre de crime-parricide assorti de son châtiment-suicide, conflit non gérable d’un surmoi-sadique et d’un moi-masochiste ).
On sera sans doute bien inspiré de retenir plutôt une causalité à deux versants, dont le niveau (plus ou moins subtil) d’observation rendrait compte pour l’essentiel.
Quoiqu’il en soit, E. Darrien (1975) a publié une étude faisant droit à la possibilité d’agir soniquement sur cette affection, avec des résultats qui semblaient fort encourageants. Il fait état de dix observations et constate : « Les résultats obtenus permettent d’affirmer qu’il n’y a pas eu d’échecs, en ce sens que toutes les cures entreprises et suivies régulièrement ont amené une disparition ou une diminution très sensible des crises, ceci malgré la diminution plus ou moins importante (possible dans tous les cas dès le troisième mois) ou la disparition (à partir du neuvième mois) de la thérapeutique médicamenteuse. »
La cure était de type banal avec, cependant, usage de grégorien non filtré dès les premières séances à la fin de l’heure de musique filtrée en passe-haut à 8000 Hz (cette dernière étant parfois mal supportée : irritabilité). On administrait deux heures d’OE par semaine. La mère recevait des sons filtrés également.
LA DÉPRESSION
Dès les premiers temps de l’utilisation de l’oreille électronique dans les troubles de l’élocution, il est apparu qu’on obtenait, en marge de l’effet attendu sur la difficulté visée, une dynamisation de l’enfant ; il semblait prendre un nouvel intérêt à la vie scolaire et même à la vie tout court, nouant de nouvelles relations, oubliant sa timidité, sortant de son isolement ou de son apathie, etc. On soupçonna qu’il y avait là une action sur des équivalents dépressifs propres à l’âge scolaire.
Les cliniciens utilisant l’oreille Tomatis, tel le Dr P. Gardey et le Dr Mouret, lors d’entretiens informels, tel le Dr J. Raynaud (****) au Congrès des médecins militaires du Val de Grâce, affirmaient un effet antidépresseur repérable chez l’adulte.
J’ai tenté de vérifier, au niveau de ma propre clientèle, dans quelle mesure l’observation appuyait ce point de vue.
Au prix de soixante dix heures, en moyenne, d’exposition à l’OE, nous avons noté 66% de succès et 30% de résultats incertains ou d’échecs (sur 40 cas). Les psychoses mélancoliques authentifiées par l’histoire du sujet constituent une mauvaise indication de la cure standard (5 échecs sur 6 cas). En effet, on obtient bien souvent une amélioration qu’on croirait spectaculaire mais qui l’est trop puisqu’il y a « inversion de l’humeur » ou « instabilisation » : euphorie et pessimisme se répondent, expansivité excessive, dépenses inconsidérées, etc. De tels phénomènes se paient bien souvent par- une culpabilisation massive, des idées voire des actes d’autonuisance pouvant aller jusqu’au suicide.
Les états dépressifs névrotiques, y compris certains qui avaient résisté à de multiples hospitalisations et chimiothérapies antérieures sont au contraire bons répondeurs (13/20)… Nous obtenons une amélioration dans plusieurs des cas « résistants » par l’adjonction de techniques différentes telles que Rebirth, Rolfing, Méditation, Hatha Yoga, etc. Le pourcentage de succès dépasse alors (sur notre échantillon) 80% (B. Auriol, 1978).
Désireux de préciser, de manière très générale, les indications des cures soniques sous appareil modificateur de l’écoute, j’ai proposé une approche psychométrique du problème :
ÉTUDE PSYCHOMÉTRIQUE DES INDICATIONS
Les indications ci-dessus étaient totalement empiriques, cliniques et toujours discutées pour insuffisance méthodologique ou même défaut de publication autre que dans des circulaires à diffusion restreinte ou des revues confidentielles.
C’est à E. Deneys (1986) qu’on doit d’avoir commencé à réaliser ce travail. Quoique encore insuffisant et marqué par certaines faiblesses, liées aux contraintes de la pratique libérale qui est la nôtre, d’où étaient issues les données qu’elle a exploitées, son mémoire permet de prévoir sur quelles dimensions de la personnalité peuvent agir les sons filtrés et dans quelle mesure peuvent s’amender les symptômes cibles et/ou les structures qui les sous-tendent…
Elle a tenté d’évaluer avec nous s’il existait des paramètres de la personnalité qui étaient significativement modifiés, dans un sens déterminé, par l’usage prolongé d’une thérapie sonore avec appareil Tomatis ou Variophone, utilisant la modification systématique de sources sonores diverses selon le protocole préconisé par A. Tomatis.
Nous avons testé (Test M.M.P.I.) un certain nombre de sujets avant cette sonothérapie et après plus de six mois de pratique.
Les échelles Obvies s’améliorent tandis que les Échelles Subtiles restent stables. On observe une diminution des échelles d’angoisse, de dépression, d’intériorisation, d’introversion et de névrose et une augmentation de l’échelle « force du moi » (« Ego Strength ») et de l’échelle de passage à l’acte.
L’ensemble suggère que ce type de cure entraîne une plus grande propension à extérioriser les problèmes sous forme d’actions socialement adaptées (sublimation ?) et une plus grande capacité d’adaptation sans modification notable de la structure psychopathologique de fond: le type de névrose reste le même, les échelles psychotiques varient peu.
On doit noter que l’augmentation de l’échelle de passage à l’acte, comporte des inconvénients, éventuellement graves qui invitent à une grande vigilance concernant la propension du client à réaliser ses angoisses dans la réalité plutôt que d’en supporter la charge interne. Il existe un risque non négligeable d’actes auto ou hétéro agressifs, de changements sentimentaux, professionnels ou idéologiques mal intégrés, Il est peut-être utile d’avertir le patient de ces diverses éventualités, heureusement maîtrisables le plus souvent.
On pourrait penser que ces résultats dépendent moins de l’administration de Sons Filtrés que de l’action non spécifique liée à la prise en charge de ces sujets par un procédé quelconque auquel ils ajoutaient foi. II devient alors intéressant de prendre en considération une étude, similaire dans son protocole mais concernant une autre technique de « prise en charge » qui fut réalisée dans le cadre de la thèse médicale du Dr Lucien Goulinet. II a utilisé le M.M.P.I. avant et après six mois de pratique d’une forme de Yoga Mental, connu sous le nom de Méditation Transcendantale. Il observe une diminution significative des échelles de Dépression, de Psychopathie, de Paranoïa, de Psychasthénie, de Schizophrénie, de Manie, d’Anxiété (indice A.I. et A.M. de Taylor), de Névrosisme. Par contre, les échelles d’Hypocondrie, d’Hystérie, de Masculinité/féminité, d’Introversion Sociale, de Passage à l’Acte (rapport d’intériorisation) semblent rester stables ou varier de façon peu significative. On voit que la Méditation semble agir davantage sur les échelles psychotiques, la sonothérapie sur l’inhibition de l’action. En pratique, j’ai trouvé qu’il existait une heureuse complémentarité entre les deux méthodes et plus généralement, entre les méthodes « dynamogènes » et les méthodes « relaxantes » (Auriol, 1985).
Deux échelles (A et R), utiles à la recherche, ont été proposées par G. Welsh : elles constituent une évaluation très satisfaisante des facteurs essentiels qui ont été isolés de façon stable dans la très grande majorité des études factorielles de ce test.
L’échelle A concerne plutôt le monde « subjectif » et « intersubjectif » des valeurs, des jugements, de la vie intérieure, des sentiments, etc. L’élévation de cette échelle correspond à une majoration de 1′ « angoisse existentielle », du « sentiment tragique de l’existence », de l’introversion, de la crispation sur des valeurs sentimentales, intérieures, subjectives au détriment de l’action, de l’attention à l’environnement, de la communication directe et franche avec autrui… (Introverti d’Eysenck ; Axe Sentiment-introverti/Pensée-extravertie de C.G. Jung
L’échelle R concerne l’attitude à l’égard du monde « objectif » interne (somatisations) ou externe (contacts, science et technique, etc.). L’élévation de cette échelle correspond à une majoration du positivisme, de 1′extraversion, des valeurs réalistes et objectives de la vie, y compris sous forme de somatisations ou de passage à l’acte en cas de conflit… (Extraverti d’Eysenck ; Axe Sensation-extravertie/Intuition-introvertie de C.G. Jung
L’orthogonalité de ces deux échelles a été maintes fois confirmée par de nombreux travaux expérimentaux qui ont tous montré des inter corrélations entre elles très proches de zéro. Elles permettent donc de rendre compte du maximum d’information contenue dans un protocole. Observer que les cures soniques entraînent une diminution de l’une et pas de l’autre serait un acquis tout à fait remarquable riche de conséquences théoriques et pratiques. Or c’est bien ce que nous constatons. En effet, la comparaison avant-après cure sonique montre une diminution systématique de la composante factorielle A dans le M.M.P.I, et des variations peut-être aléatoires (en tous cas non significatives en ce qui concerne la population étudiée) du facteur R.
Cette constatation va dans le sens des observations cliniques, lesquelles ont conduit tous les praticiens à affirmer la « dynamisation relationnelle » produite par la cure sonique, II s’agit d’une ouverture à la communication et au monde extérieur : éveil, concentration, attention, activité, relations humaines. Dans quelques cas, rares mais très suggestifs, on est surpris d’entendre les témoins du milieu familial ou scolaire vanter une amélioration du comportement que ne confirme pas nécessairement le sujet qui estime n’avoir pas fondamentalement changé. Il a même parfois l’idée que ce sont les circonstances qui sont devenues plus favorables.
II reste nombre de points faibles dans ce travail qui devra être repris et amplifié pour acquérir de véritables certitudes quant à ce qu’on peut attendre de la sonothérapie.
Références bibliographiques :
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B. Auriol Introduction aux méthodes de relaxation, techniques et orientations tendant à faciliter la détente et la disposition de soi. Privat, 1979.
B. Auriol Mézièrisme et Psychothérapie, Congrès de l’AMIK, Nantes 1979. Cahiers de l’Amik, 7, 14, 22-35, Février 1984.
B. Auriol Pour une approche multifocale en thérapie, Psychologie Médicale, 17, 6, 809-813, 1985.
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E. Derrien Approche d’une prise en charge des phénomènes épileptiques par l’oreille électronique. Rev. Int. d1Audio-Psycho-Phonologie, 8,42-55, 1975.
D. Feldman Introduction à 1′Acousticothérapie.
P. Gardey Edité par l’Association Française d’Audio
J. Raynaud Psycho-Phonologie. Pau 1985.
S. Freud Dostoïevski et le parricide, trad. fse. J.B. Pontalis in « Résultats, Idées, Problèmes », II, 160-179, P.U.F. 1985.
A. Le Gall Le redressement de certaines déficiences psychologiques et psychopédagogiques par l’appareil à effet Tomatis, Secrap, 1961.
L. Goulinet Étude sur les modifications de la Personnalité par le programme de Méditation Transcendantale et de M, T – Siddhis, Thèse de Médecine, Dijon, Juin 1981,
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