Pendant 10 mois, Elodie, enfant autiste de 9 ans, et moi avons joué ensemble, avec les rythmes et les sons des instruments de musique, ainsi qu’avec notre voix.
Je vais retracer quelques moments forts que nous avons vécus ensemble.
Découverte
La première séance a été une séance découverte … surtout pour moi ! En effet, j’avais déjà été avec des enfants, ou des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer, mais n’avais jamais fait de musique avec une enfant autiste. Je cherchais ainsi à communiquer avec elle, par l’intermédiaire des instruments: je jouais différents rythmes, avec différents instruments. Alors que je m’attendais avec beaucoup d’enthousiasme qu’elle joue avec moi, ou danse, ou réponde à sa manière, à chaque fois sa réaction était simple: rejet des instruments et stéréotype !
Etonnée et déçue de cette première séance, je suis repartie avec la question et la motivation d’y trouver une réponse : comment faire pour entrer en contact avec Elodie tout en musique ?
La musique d’Elodie
J’ai vite compris, que je m’étais trompée de direction. Ce n’est pas en imposant ma musique, mes rythmes que je vais pouvoir communiquer avec elle.
C’est en allant dans son monde, dans ses rythmes que je vais pouvoir entendre sa musique, jouer sa musique et entrer dans une réelle communication avec elle.
Le sens de tout cela: pourquoi communiquer avec Elodie ?!
Avant de poursuivre sur nos expériences vécues, j’ai envie de revenir sur un point qui me semble très important. A savoir: l’objectif des séances. Basée sur la méthode des 3i, l’objectif était d’être avec l’enfant, jouer avec lui, le stimuler et rechercher son regard pour lui permettre de s’éveiller, de sortir de sa bulle. Lui permettre également de ne plus être dans l’angoisse, de ne plus subir les stéréotypes. Pour qu’à long terme, il puisse communiquer, entrer en relation avec les autres, devenir autonome. Et acquérir par la suite les connaissances et compétences nécessaires pour aller à l’école et travailler.
J’ai remarqué que sa musique était très belle, sa voix magnifique. Quand elle jouait ou chantait ce qui venait du fond d’elle-même, elle rayonnait, était dans la joie, son regard était vivant et présent. C’était des moments très forts. Des moments d’une grande simplicité, de joie et de bien-être. Moments qui me nourrissaient. Je repartais de chez elle, chargée d’énergie et remplie d’amour. Amour que je pouvais alors transmettre à mes enfants ou aux personnes que je rencontrais.
Par la musique et le chant, Elodie s’exprimait, exprimait ce qui était en elle,
la richesse, la beauté et l’amour qui était en elle.
C’est pourquoi, au fur et à mesure des moments que nous passions ensemble, je n’avais plus forcément d’objectif précis. Si ce n’est celui-ci:
Juste l’envie d’être avec elle.
Juste l’envie d’être.
Des moments de doute
Un jour, j’ai eu envie de faire découvrir à Elodie des musiques que j’aimais beaucoup, qui donnent envie de danser. En effet, la fois précédente, Elodie avait danser toute la séance alors que je jouais des percussions. Je jouais, elle dansait. Plus elle dansait, plus elle m’entrainait à jouer etc… C’était un magnifique moment. C’est pourquoi, je voulais revivre la même chose, avec d’autres musiques !
Cela n’a pas du tout été pareil ! A l’écoute des musiques, elle se mettait à crier en se bouchant les oreilles. Je changeais de musique, voulais danser avec elle. Mais elle ne le souhaitait pas. Elle stéréotypait. Pleurait. Criait. Je n’arrivais pas à entrer en contact avec elle. J’étais désemparée, ne savais pas quoi faire.
Son papa est alors venu. Nous avions longuement discuté. Et surtout, je le voyais agir avec Elodie. Comment il coupait ses stéréotypes. Comment il prenait contact avec elle, jouait avec elle. Je lui parlais de mes craintes: n’étais-ce pas lui faire violence de la couper dans ses stéréotypes ? Mettre la musique trop fort ne la dérangeait-elle pas, ne lui faisait-elle pas mal ?
J’étais très étonné de voir comment elle passait d’une émotion à l’autre. Lorsqu’elle pleurait, il ne s’agissait pas de la plaindre, car, alors, elle y restait, et, je m’engouffrais avec elle dans cette émotion !!! Il était juste important d’avoir un temps pour l’entendre dans l’émotion, y mettre des mots, la prendre dans les bras pour la consoler et continuer par un jeu qui la faisait rire, des chatouilles par exemple. Et, c’était reparti pour un tour de rigolade et de belle énergie.
A l’écoute d’Elodie
Quand j’arrivais chez Elodie, je me mettais à son diapason ! Je voyais dans quelle énergie elle était: enthousiaste ou angoissée, fatiguée ou en pleine forme, contrariée ou joyeuse. Son comportement était très parlant. Puis, je m’adaptais à son énergie. Avait-elle envie de bouger ou au contraire d’être prise dans les bras ? Etait-elle dans des moments d’automutilation ou stéréotypait-elle ?
Il me fallait un temps pour me poser, pour être, entrer en lien avec elle, pour sortir de ma tête les tracas et soucis. Pour cela, je me mettais près d’elle, assise au sol. Je l’observais. Silence.
Elle stéréotypait. Un rythme dans son stéréotype. C’est régulier. Une pulsation.
Je prenais l’instrument que j’avais emmené ce jour-là, et, jouais au rythme de son stéréotype. Je me calmais, me posais. Mes pensées se centraient sur Elodie et son rythme.
Puis, progressivement, j’ajoutais une mélodie, j’enrichissais sa pulsation d’un rythme, d’un autre son et ensemble, nous créions une musique. Son stéréotype cessait, Elodie s’exprimait. Elle rayonnait, me regardait, nous nous regardions.
Elle criait ou exprimait des suites de sons « incompréhensibles ». J’entendais des notes et des rythmes. Je reprenais les notes qu’elle criait sur mon instrument ou avec ma voix, en boucle. Puis, je rajoutais d’autres notes. Une mélodie était née. Sur une ou deux séances, nous avions créé des nouvelles variations sur cette mélodie: danse, chant, violon, bercement, massage etc…
Elodie aimait être massée. Je la prenais dans les bras. Peut-être bougeait-elle ses doigts de façon automatique ? Je reprenais ce rythme pour lui masser les pieds. Des fois, elle s’endormait. d’autres fois, elle se relevait en pleine forme, prête pour un nouveau jeu.
Nous jouions ensemble sur le métallophone, chacune une mailloche dans la main.
Nous inventions des rythmes sur les percussions.
Elle faisait un jeu, j’accompagnais chacun de ses mouvements par un son particulier. Elle faisait le lien entre ses mouvements et ce que je jouais, elle s’en amusait.
Un jour, j’avais oublié de prendre mes instruments de musique … normal pour une musicienne !!!!!
Alors que nous sautions sur le trampoline, Elodie chuchotait « AAAIIIOOOEEE ».
J’avais repris cette suite de lettre, avec son rythme. J’avais alors créé une mélodie: une note par voyelle. Puis, nous l’avons repise durant le reste de la séance, tout en sautant sur le trampoline. Elodie était ravie, elle éclatait de rire. Je rigolais avec elle.
J’avais essayé d’introduire la voyelle U. Mais, elle avait commencé à se taper et crier.
Il était intéressant de noter que le matin même, elle avait travaillé les voyelles lors de sa séance d’orthophonie. C’était une autre façon d’aborder les voyelles.
Les ressentis de mon corps
Je tiens à écrire sur l’importance de mon ressenti, de mon corps dans les moments vécus avec Elodie. Je me suis rendue compte, petit à petit, de la pertinence de mon ressenti, des messages que mon corps m’envoyait.
En effet, j’ai constaté que lorsque j’étais pleinement avec Elodie (cf le moment présent ci-dessous), mon corps me guidait dans ce que j’avais à faire. Il y avait comme un lien entre mon corps et Elodie.
Selon ce que je jouais, je pouvais ressentir un bien-être, un frisson qui me traversait, une énergie qui me nourrissait ou au contraire un mal-être. Cela pouvait prendre la forme d’une douleur plus ou moins diffuse dans mon corps. Ou cela ressemblait à une sensation de « fausse note »: la description la plus proche serait la même sensation lorsque l’on entend une fausse note dans une musique.
Si je jouais malgré la sensation de mal-être, Elodie se mettait à crier, à se taper. Je n’avais alors plus d’autre choix que de passer à autre chose.
Lorsque je jouais ce qui me faisait du bien, Elodie s’enthousiasmait, et, nous entrions dans un beau moment de création en commun.
Je ne connais ni le pourquoi, ni le comment ! Je sais juste que cela était !
Le moment présent
Bien souvent, nous ne vivons pas pleinement le moment présent ! Par exemple, je marche en pensant aux courses qu’il me faut faire. Une personne me parle et je pense à mon travail. Chacun d’entre nous a plein d’exemple à donner !!!
Avec Elodie, il n’est pas évident de ne pas vivre le moment présent !
Lorsque je prenais un instrument, jouais tout en pensant à autre chose, le résultat était très simple: Elodie entrait en crise plus ou moins grande ou stéréotypait.
C’était incroyable !
Lorsque j’étais pleinement avec elle, lorsque « ma tête pensait ce que je jouais », ou lorsque « ma voix et mon corps jouait ce qu’il y avait dans ma tête », j’étais en lien avec Elodie !
De même, Elodie vit pleinement le moment présent.
Quand elle est en colère, elle est en colère ! Quand elle rit, elle rit ! Quand elle stéréotype, elle stéréotype ! Elle passe d’ailleurs très rapidement d’une émotion à l’autre, d’une occupation à l’autre. Et, je ressens qu’elle le fait toujours pleinement !
De même, quand elle danse, elle danse, et ne fait rien d’autre, elle le fait à fond, avec toutes ses émotions, tout son corps, toutes les cellules de son corps, j’ai envie de dire !!! C’est très enrichissant pour moi de la voir, et de vivre ses moments !
Elodie m’apprenait à vivre le moment présent !
Elle m’apprenait aussi à accepter les émotions, à les vivre, puis à les laisser passer,
pour passer à autre chose !
Elle m’apprenait à être dans la joie, à vivre la joie et le rire.
Un travail manifique , un approche entière et seul à avoir avec les autistes. Merci pour ce partage , cela va m’aider énormement.Je pense qu’il faut faire partie de leur monde. Il m’arrive de penser que dans une autre vie j’étais autiste, tellement je me sens uni, à condition que je fais avec eux et ne pas pour eux ou pour moi.
Maria