« Musicothérapies du Monde » est un rendez-vous mensuel au travers duquel je vous propose de rencontrer un thérapeute français ou étranger qui utilise le sonore pour guérir les mots et les maux. — Juliette Piazza
Je vous présente Rihab Jebali musicothérapeute et présidente de l’Association Nationale de Musicothérapie en Tunisie.
Juliette – Peux-tu nous présenter ton parcours ? Comment en es-tu venue à la musicothérapie ? Quelle formation as-tu fait ?
Rihab – Je suis musicienne, musicologue, Docteur en sciences culturelles et maitre assistante à l’Institut Supérieur de l’éducation spécialisée et présidente fondatrice de l’Association Nationale de Musicothérapie. Le choix de la musicothérapie est introduit à la place qu’occupe en moi la musique. La musicienne que je suis est sous le joug de l’Art que j’exprime en moi et pour autrui. La musique est pour moi une intarissable source d’épanouissement, ce qui seconde étroitement ma vocation de musicologue, ayant entre autres assisté à plusieurs stages de musicothérapie ou initié des activités artistiques en instrument, chant et art . La musique s’est révélée pour moi un fondement de vie, lueur de sensations décriées, nouvelles et libératrices, je m’en ressource, pour mieux me connaître et gérer mes émotions et m’exprimer plus librement.
C’est aussi au contact de médecins psychologues, à l’instar du Pr Soussi (Chef du service de pédopsychiatrie), Pr Essedik Jeddi (Psychiatre), Dr Ben Aissa (Psychiatre), et Dr. Abdelhak (Psychologue), que l’interface « Musique et thérapie » s’est raffermie.
Après mes études universitaires à l’Institut Supérieur de Musique de Sousse, j’ai senti que l’étudiant cherche à découvrir lors des cours de musique à s’investir dans la relation, le partage, la découverte, dans un propos libre de toutes contingences.
En effet, j’ai choisi la musicothérapie comme thème de recherche, dans le cadre du master en esthétique, sciences et techniques de la musique qui s’intitule « Essai de la mélodie thérapie entre affects et sentiments : Etude expérimentale », et depuis j’ai réalisé plusieurs expériences dans un service de pédiatrie, et ensuite des séances de musicothérapie et d’écoute musicale guidée au service d’oncologie, auprès des personnes venant faire des cures de chimiothérapie. Ce fut une expérience très touchante dans le sens qu’elle a aidé des gens souffrants, en leur donnant quelques moments, au berceau d’un art sensible, emprunt de bonheur et de dignité.
Ces expériences m’ont poussées à approfondir mes connaissances dans le domaine de la recherche en musicothérapie, dans le cadre doctoral et post doctoral, d’encadrer des recherches en musicothérapie des étudiants en master et de participer à plusieurs journées d’études et stages en Tunisie, en France et en Italie.
Juliette – Dans quelles institutions travailles-tu ? Y-a t-il un publique ou une pratique de musicothérapie que tu affectionnes particulièrement ?
Rihab – En tant que Maitre-assistante à l’Institut Supérieur de l’éducation spécialisée, j’enseigne depuis des années la musicothérapie et la musique adaptée aux situations du Handicap dans le cadre de la licence fondamentale en éducation spécialisée et les médiations artistiques, dans le cadre du master professionnel « Handicap et réhabilitation » et du master de recherche en éducation spécialisée. Et je dirige plusieurs travaux de recherche en musicothérapie qui portent sur l’autisme, l ‘Alzheimer, la carence affective et les situations du handicap. En effet, j’accompagne les étudiants que j’encadre aux institutions, lieu des stages, à l’instar de l’Institut National de Protection de l’Enfance, à « Dar Nana », une maison de retraite et un centre de prise en charge des enfants autistes. Je suis sensible à toutes les tranches d’âges, tous les troubles et tout type d’handicap, mais j’affectionne particulièrement les autistes et les enfants avec carence affective. Quant au type d’approche, il dépend des objectifs visés et de la nature de la pathologie, public…
Juliette – Tu es la fondatrice de l’association nationale de musicothérapie. Comment en es-tu arrivée à créer cette association? Quelles en sont les objectifs ?
Nous avons eu l’idée, moi et M Achraf Kamoun (Docteur en musique et nouvelles technologies et Trésorier de l’ANMT), de créer l’Association Nationale de Musicothérapie, en 2013, afin de promouvoir la musicothérapie dans notre pays, valoriser et installer les principes fondamentaux de cette thérapie.
L’objectif fût aussi d’encadrer et pousser les travaux de recherches cliniques, notamment dans le domaine de l’autisme, l’Alzheimer et des autres démences, troubles et handicaps, associant les équipes médicales et universitaires, co-diriger et guider les étudiants dans leurs travaux par des professionnels et professeurs des universités françaises et tunisiennes, et échanger les expériences entre les différentes spécialités : la psychiatrie, la psychologie, la musicologie et les arts.
Juliette – Quels évènements organises-tu au sein de l’association ? Au sein de l’association, as-tu crée un réseau de musicothérapeutes ou une journée de la musicothérapie en Tunisie ?
Rihab – Depuis la création de l’Association, nous avons pu mettre en œuvre, avec l’équipe de l’Institut de Musicothérapie de Nantes, des sessions de stage et des cycles de formations ouverts aux professionnels de la santé et éducateurs spécialisés, musiciens musicologues, afin d’améliorer les compétences des professionnels et les conditions de vie des patients. Nous avons pu aborder les développements de la musicothérapie avec des enfants souffrant de Troubles du Spectre Autistique, des personnes âgées Alzheimer, d’enfants et d’adultes handicapés ou présentant des déficits intellectuels ; ainsi que des journées d’études et des colloques internationaux, en collaboration avec l’Institut de Musicothérapie de Nantes, le (CHU Razi), les Instituts supérieurs de musique de (Sousse, Tunis et Sfax) et l’Institut Supérieur de l’éducation spécialisée. Nous avons organisé, ces dernières années, un séminaire-atelier, organisé en collaboration avec le service de Pédopsychiatrie de l’hôpital Razi « Musicothérapie et Autisme » , destiné aux professionnels de la santé et un Symposium International de Musicothérapie, intitulé « Médiations Musicales-Médiations thérapeutiques », en partenariat avec le Centre des Musiques arabes et méditerranéennes (Ennajma Ezzahra), et en collaboration avec l’Institut de Musicothérapie de Nantes et nous avons invité des intervenants de Padova, Nice, Nantes, Paris, l’Albanie et Liban. Par la même occasion, nous avons présenté un ouvrage collectif, intitulé « Médiations Musicales-Médiations thérapeutiques », contenant les articles des conférenciers, préfacé par Pr Edith Lecourt, sous ma direction scientifique.
Quant au réseau de musicothérapeute en Tunisie, nous avons, actuellement, un réseau de professionnels de la santé, éducateurs spécialisés et musiciens intervenants, et qui sont à la fois membres actifs de l’Association, qui travaillent depuis des années auprès des personnes en difficultés, utilisant la médiation musicale et sonore, à des fins thérapeutiques.
Juliette – La musicothérapie en Tunisie est-elle reconnue ? Quels sont les axes de travail qui permettraient d’aller vers une meilleure reconnaissance de la musicothérapie en Tunisie ?
Rihab – En Tunisie, comme en France, il n’ y a pas encore de « statut du musicothérapeute ». En effet, notre objectif consiste à développer progressivement une pratique clinique de musicothérapie en Tunisie, en favorisant la création d’une formation professionnelle de musicothérapeutes, en lien avec les institutions de soins et médico-sociales, ainsi qu’avec l’appui des universités (médecine, psychologie, et instituts supérieurs de musique et musicologie. Notre projet fût d’instaurer une formation diplômante en musicothérapie, afin de répondre aux attentes exprimées, par les professionnels de santé, éducateurs spécialisés, personnes en situations du handicap et parents d’enfants en difficultés…
Juliette – Quelles sont les formations pour devenir musicothérapeute en Tunisie?
Rihab – Pour devenir musicothérapeute, il faut être formé en psychologie, psychopathologie et en musique, et participer à des stages de musicothérapie, d’observation et d’immersion dans des unités de soin, auprès de spécialistes. Dans l’attente que le projet de création d’un master professionnel en musicothérapie se concrétise, l’association organise des sessions de formations en musicothérapie, afin de donner aux professionnels de la santé, la possibilité d’introduire la médiation musicale dans leurs propres pratiques de soin.
Juliette – Tu as la chance de venir régulièrement en France, puisque tu es en relation notamment avec l’Institut de Musicothérapie de Nantes. As-tu remarqué des différences entre les pratiques de la musicothérapie en France et en Tunisie ?
Rihab – Oui, ma relation d’amitié avec l’équipe de l’Institut de Musicothérapie de Nantes et notamment avec M. François Xavier Vrait, et Emmanuelle Carasco, date depuis dix ans, à peu près. J’ai participé à des enseignements auprès des étudiants en musicothérapie à la faculté de médecine de Nantes, et j’étais invitée à des des conférences lors des journées scientifiques organisées par l’IMN.
Oui, bien sûr, il y a plusieurs différence entre la pratique de la musicothérapie en France et en Tunisie : En France on parle de plus de 50 ans de musicothérapie, et la pratique de la musicothérapie est assez structurée et elle est assurée par des musicothérapeutes, dans un cadre thérapeutique et institutionnel et le musicothérapeute doit avoir terminé une formation spécialisée à la musicothérapie.
En Tunisie, on ne parle pas d’une pratique de musicothérapie, au vrai sens du mot, mais plutôt, de médiation musicale et sonore à des fins thérapeutique, pédagogique, éducative… Celle-ci peut être pratiquée par des professionnels de la santé (orthophonistes, kinésithérapeutes…), afin d’améliorer la qualité de prise en charge, par des éducateurs spécialisés à des fins éducatifs, ou par des musiciens intervenants dans les domaines du soin, ou des institutions de prise en charge de personnes en difficultés, ici on parle de psychopédagogie musicale, ou de musique adaptée aux situations du handicap.
Juliette – Quel message souhaites-tu faire passer aux musicothérapeutes français ?
Rihab – Je souhaite une bonne musicale année 2019 à tous les musicothérapeutes français ! N’hésitez pas à visiter notre beau pays et d’échanger avec nous les savoirs et les savoirs faire, afin d’améliorer la pratique de musicothérapie dans nos pays.
Je vous invite à consulter notre page facebook : https://web.facebook.com/Association.nationale.musicotherapie2/
Je vous invite aussi à consulter notre nouvel ouvrage « Médiation musicale-Médiation thérapeutique », il sera disponible aux journées cliniques de l’Institut de Musicothérapie de Nantes le 22-23 Mars 2019.
Voici quelques articles, autour de la musicothérapie que j’ai rédigés, il y a quelques années au premier magazine tunisien de santé « Livret Santé » :
https://livretsante.com/a_la_une/tradition-maghrebine-ancestrale/
https://livretsante.com/si_senior/musique-adoucit-lalzheimer/
https://livretsante.com/gosses/journee-portes-ouvertes-autiste-reste-enfant/
https://livretsante.com/a_la_une/journees-detudes-cliniques-musicotherapie-en-psychiatrie/